REMAPATH

Complication hémorragique par envenimation après morsure de vipère chez un adolescent de 14 ans dans le service de pédiatrie de l’hôpital du Mali

KANE Bourama1, DIALLO Yacouba L2, CAMARA Mody3, DIALLO Korotoumou W.1, SIMAGA Tati1, DRAME Aboubacar SI3, COULIBALY Oumar5, TRAORE Mohamed M3, TOURE Boubacar M.6, FANE Baba3, KONE Oumou6, KONE Affou S.7, COULIBALY Ou8

1 : Service de pédiatrie de l’Hôpital du Mali, 2 : Service de Médecine et d’Endocrinologie de l’Hôpital du Mali, 3: Service d’imagerie médicale de l’hôpital du Mali, 4: Laboratoire d’analyse médicale de l’hôpital du Mali, 5: Service de pédiatrie du CHU Gabriel Touré, 6: Institut National de Recherche en Santé Publique, 7 : Service de radiothérapie de l’Hôpital du Mali, 8 : Service de neurochirurgie de l’Hôpital du Mali

Résumé (Français):

Dans le monde on estime à 2,4 millions le nombre d’envenimations et de 94 000 à 125 000 le nombre de décès annuels par morsures de serpents. Le risque évolutif dépend de l’âge et la précocité de la prise en charge. Ce risque est plus élevé l’enfant que chez l’adulte. Nous rapportons ici un cas clinique d’envenimation par morsure vipérine mortelle chez un adolescent de 14 ans dans le service de pédiatrie de l’Hôpital du Mali.
Observation : Il s’agissait d’un garçon de 14 ans mordu par une vipère dans un champ. Un traitement associant le sérum antivenimeux au parage la plaie a été fait dans le centre de santé de leur localité. Trois jours après l’accident il a été admis dans un tableau de syndrome méningé. La ponction lombaire pratiquée en urgence a amené un LCR hémorragique qui ne s’est pas coagulé. La TDM cérébrale montré une importante hémorragie méningée. Il est décédé quelques heures après son admission.
Conclusion
Les morsures de serpent sont des situations rares en milieu pédiatrique. Les symptômes hémorragiques ou thrombotiques sont fréquents et engagent le plus souvent le pronostic vital des patients, particulièrement chez les enfants. Mais une prise en charge précoce et efficiente permet de réduire la mortalité.

Mots clés: envenimation, vipère, pédiatrie, Hôpital du Mali
Summary (English):

Through the World, around 2.4 million people are estimated to be poisoned and 94,000 to 125,000 are killed annually by snakebites. The evolutionary risk depends on the age of patient and the precocity of the treatment. This risk is higher in children than in adults. Here we report a clinical case of poisoning by fatal viperine bite in a 14-year-old adolescent in the pediatric unit of the Mali Hospital.
Observation: It was a 14 year old boy bitten by a viper in a field. A treatment associating the antivenom with the wound trimming was done in the health center of their locality. Three days after the accident, he was admitted to a meningeal syndrome picture. The emergency lumbar puncture led to a hemorrhagic CSF which did not coagulate. CT scan of the brain showed significant subarachnoid hemorrhage. He died a few hours after his admission.
Conclusion
Snake bites are rare situations in pediatric settings. Hemorrhagic or thrombotic symptoms are frequent and most often have a life-threatening impact on patients, especially in children. However, early and effective treatment reduces mortality.

Keywords: envenimation, viper, pediatrics, Mali Hospital
Adresse de correspondance:

Bourama KANE, service de Pédiatrie hôpital du Mali, Bamako, Mali, Email : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

INTRODUCTION
Les morsures de serpents constituent un problème majeur de santé publique dans le monde. Elles concernent aussi bien l’enfant que l’adulte, mais l’incidence est plus élevée chez l’enfant que chez l’adulte [1]. Dans le monde, il existerait plus de 5 millions de personnes victimes de morsures de serpent par an. Dans cette population, on enregistre chaque année environ 2,4 millions de cas d’empoisonnement par envenimation, 94 000 à 125 000 décès et 400 000 amputations consécutives à une envenimation [1, 2].
La majorité des morsures de serpent ont lieu en Afrique et en Asie du Sud-Est. Elles touchent principalement les agriculteurs qui vivent en milieu rurale défavorisé [2].
En 2005, dans le Bas Congo, la fréquence des envenimations par morsure de vipère était de 35.9% avec 10.2% de décès [3]. De même au Sénégal, en zone rurale l’incidence des morsures de vipère était de 677/100 000 habitants avec un taux moyen de mortalité de 14/100 000 habitants en 2005 [4]. En 2006 dans une étude prospective conduite à l’Hôpital National de Niamey, la fréquence de l’envenimation par morsure de vipère était de 7% avec un taux de létalité de 15% [5]. Au Mali une étude réalisée chez les adultes au Centre Hospitalier Universitaire Mère enfant le « Luxembourg » a montré une moyenne annuelle 6.7 cas [6]. De toutes ces études, la morsure de serpent semble rare avant 15 ans. Cependant la mortalité reste élevée chez les sujets jeunes, faisant de l’âge un facteur déterminant l’évolution des envenimations par morsure de serpent [7]. En milieu pédiatrique c’est une situation pathologie rare, mais grave dans son évolution.
Nous rapportons un cas d’envenimation mortelle par morsure de vipère chez un adolescent de 14 ans dans in le service de pédiatrie de l’Hôpital du Mali.

OBSERVATION

Il s’agit d’un garçon de 14 ans, issu d’une famille d’agriculteurs, sans antécédent médical particulier, hospitalisé pour coma et raideur de la nuque. Il est le 2è enfant d’une fratrie de 6 enfants dont un décédé pendant la période néonatale. Il n’y a pas de tare familiale connue.
L’histoire clinique est marquée par une morsure de vipère au niveau du deuxième orteil droit. Il est conduit au centre de santé de leur village où il a reçu le sérum antivenimeux et soins de la plaie. L’évolution est marquée par la survenue de vomissements incoercibles, des céphalées intenses trois jours après. Devant l’adjonction d’une altération de la conscience il est amené à l’hôpital pour prise en charge.
A l’admission, il avait un état général altéré, une pâleur conjonctivale intense. L’examen retrouvait une altération de la conscience, un score de Glasgow à 9, une raideur méningée à 37.5°C. Il n’y avait ni trouble de la sensibilité ni atteinte de paires crâniennes. Le deuxième orteil droit présentait des signes de nécrose. Le reste de l’examen clinique était sans particularité. Il pesait 22 kg pour 178 cm.
Devant ce tableau l’hypothèse d’une hémorragie méningée par envenimation par morsure vipérine a été évoquée.
Une ponction lombaire pratiquée en urgence a révélé une hémorragie méningée avec un liquide céphalo rachidien (LCR) hématique. L’examen cytobactériologique (ECB) du LCR a montré plus de 1000 globules rouges (GR)/ml et 1 globule blanc (GB)/mL. Il n’y avait pas de germes à l’examen direct et à la culture.
La tomodensitométrie (TDM) cérébrale a montré une importante hémorragie méningée (figure 1).
L’hémogramme retrouvait une anémie à 10.6 g/dL, VGM 78 FL, CCMH : 32.1 %, Hte=33% une hyperleucocytose à 12 200/mm3 et 152 000/mm3 de plaquettes. La Protéine C Réactive (CRP) était à 53 mg/dl. La créatinémie était à 78 µmol/l. Malheureusement le patient est décédé avant la réalisation du bilan d’hémostase dans un tableau de coma calme et apyrétique.

DISCUSSION
L’envenimation est le résultat de l’action pharmacologique du venin et de la réaction de l’organisme qui en découle [8] Le venin des viperidae est essentiellement composé d’enzymes qui transforment les substrats en composés d’action pharmacologique et de structure très variables [8]. La hyaluronidase hydrolyse les mucopolysaccharides et favorisent la diffusion des substances toxiques du venin. Les enzymes thrombiniques hydrolysent le fibrinogène à l’origine des troubles de l’hémostase. Le caillot formé peut être de nature très variable en fonction de l’espèce en cause et de la spécificité de l’enzyme. Son volume, sa stabilité et sa sensibilité à la plasmine vont expliquer la diversité d’expressions cliniques et la grande variabilité de réponse au traitement [8].
Le syndrome vipérin scindé en syndrome inflammatoire et nécrotique. Les troubles hématologiques sont souvent présents mais constituent une entité bien distincte tant au plan étiologique qu’évolutif [9]. L’inflammation locale est rapide. La douleur est intense et domine souvent le tableau clinique. L’œdème d’apparition progressive s’installe en quelques minutes. La peau présente souvent des signes hémorragiques (ecchymoses, pétéchies, purpura)[8].
Au plan biologique, on retrouve une hyperleucocytose à plus 12000 GB/mm3, une protéinurie et une CRP positive. La nécrose e peut résulter d’une anoxie locale qui conduit à une gangrène localisée s’installant en plusieurs jours [8].
Les venins des vipères Echis entraine un syndrome hémorragique majeur alors que la nécrose est rare. Les enzymes thrombiniques d’Echis et Bitis attaquent directement le fibrinogène, bien que leur structure moléculaire soit différente de la thrombine (ce qui explique l’inefficacité de l’héparine et de l’hirudine). Echis carinatus possède de plus une glycoprotéine transformant la prothrombine en thrombine et des enzymes comme l’écarine capable d’initier l’agrégation plaquettaire ou la carinatine et l’échistaline, qui, au contraire l’inhibent. Après une éventuelle phase d’hypercoagulabilité de quelques heures une coagulation veineuse disséminée (CIVD) entraine un saignement prolongé en regard de la morsure, au point de ponction, un purpura, des épistaxis, une hématurie, une hémoptysie ou des rectorragies, des métrorragies ou encore une hémorragie méningée généralement mortelle. L’état de choc résulte plus d’une hypovolémie ou d’une réaction vagale que d’une cardiotoxicité du venin, sauf la sarafotoxine des vipères de la famille des actractaspidés [10].
Les anomalies hématologiques précèdent fréquemment les manifestations cliniques du syndrome hémorragiques. Dans les pays tropicaux un trouble de l’hémostase peut être diagnostiqué par un test de coagulation sur tube sec (TC, TS), un prélevant du sang dans un tube sec, propre et dépourvu de détergent. L’absence de caillot dans les 30 minutes suivant ou la formation d’un caillot anormal traduit, même en dehors de troubles cliniques évocateurs, une envenimation vipérine nécessitant un traitement approprié [8].
Sur les lieux de l’accident il est souhaitable de réduire les gestes aux seuls susceptibles de ne pas aggraver le processus toxique. Il convient de rassurer la victime, si possible de l’allonger et d’immobiliser le membre mordu par un bandage non serré. L’évacuation vers un centre médicalisé où le bandage sera retiré est entreprise en urgence [8].
La plupart des manœuvres sont à proscrire. Le garrot augmente l’ischémie dont souffre déjà le membre mordu et grever le pronostic locorégional. L’incision locale augmente le risque de contact entre le venin et le tissu et les risques de surinfections ou de nécrose [8].
Le lavage et la désinfection de la plaie seront soigneux avec un antiseptique. La prophylaxie antitétanique sera pratiquée selon les habituelles devant toute morsure causée par un animal et selon le statut du patient [8].
Toute envenimation avérée doit faire l’objet d’une immunothérapie par un anti-venin polyvalent approprié. Il est administré soit en perfusion dilué à 10%, en 30 mn pour 100 ml, soit en IVD 3 mn pour 10 ml. La posologie est directement liée à l’évaluation de la gravité de l’envenimation[8, 9,11,12].
Un traitement symptomatique sera associé pour réduire :

  • La douleur avec du paracétamol, de la codéine, du tramadol ou un morphinique en fonction de l’intensité de la douleur.
  • L’œdème : avec un AINS (Ibuprofène 20 mg/Kg/j).
  • Les hémorragies : par l’administration de substituts sanguins (sang frais, plasma frais congelé) au moins 30 mn après l’anti-venin [11].

CONCLUSION
Les morsures de serpent sont des situations rares en milieu pédiatrique. Les symptômes hémorragiques ou thrombotiques sont fréquents et engagent le plus souvent le pronostic vital des patients, particulièrement chez les enfants. Mais une prise en charge précoce et efficiente permet de réduire la mortalité.

Références:

1. Morsures de serpents venimeux [Internet]. [cité 13 sept 2018]. Disponible sur: http://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/snakebite-envenoming
2. Organisation Mondiale de la Santé. Les morsures d’animaux. Genève: Organisation Mondiale de la Santé; 2013 févr p. 1 2. Report No.: 373.
3. Bokata S. Epidémiologie et prise en charge des morsures de serpents dans la province de Bas Congo (République Démocratique du Congo). Bull Société Pathol Exot. 2005;98(4):307 9.
4. Guyavarch E, Trape J-F. Incidence des morsures de serpent en zone rurale au Sénégal Oriental. Bull Société Pathol Exot. 2005;98(3):198 9.
5. Adehossi E, Sani R, Boukari-Bawa M. Morsures de serpent à l’Hôpital national de Niamey: à propos de 53 cas. Bull Société Pathol Exot. déc 2011;104(5):357 60.
6. Koné J, Touré M-K, Coulibaly S-K. Envenimations ophidiennes: Experience du Centre Hospitalier Universitaire Mère enfant « Le Luxembourg » de Bamako. Rev AfrAnesthésiolMedUrgence. 2017;22(1):30 4.
7. Chippaux J. Envenimations et intoxications par les animaux venimeux ou vénémeux. Inst Rech Pour Dév. 2006;66:423 8.
8. Dabo A, Kouriba B, Traoré A, Diarra Y, Doumbo O. Morsures de serpents en zone soudano-sahélienne du Mali : Epidémiologie, symptomatologie et traitement. Med Trop 2010 ; 70 : 49-52.
9. Chippaux J. Venin de serpent et envenimations. Institut de Recherche pour le Developpement. Paris: Institut de Recherche pour le Developpement; 2002. 282 p. (Actiques).
10. Morand J. Envenimations et morsues animales. In: Dermatologie. Elsevier Masson. Paris: Elsevier Masson; 2010. p. 6. (Elsevier Masson).
11. Chippaux J. Prise en charge des morsures de serpent en Afrique subsaharienne. Médecine Santé Trop. 2015;25:245 8.
12. Harry P, Haro L. Traitement des envénimations par les serpents en France. Elsevier Masson. 2002;11(548 53).

Illustration 1: 41
Citer l'article: KANE B, DIALLO YL, CAMARA M, DIALLO KW, SIMAGA T, DRAME ASI3, COULIBALY O, TRAORE MM, TOURE BM, FANE B, KONE O, KONE AS, COULIBALY Ou8. Complication hémorragique par envenimation après morsure de vipère chez un adolescent de 14 ans dans le service de pédiatrie de l’hôpital du Mali. Remapath 2019;4:18-20.
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Classé dans : REMAPATH N°4